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Le Cassandre
3 novembre 2016

La résistance du monde bancaire

La résistance des banques aux réformes vitales (pour nous, pas pour elles) révèle une complicité douteuse des États et autres institutions sur laquelle revient Jézabel Couppey-Soubeyran dans un nouveau livre ‘Blablabanque’. À lire en attendant la fin du monde, qui interviendra avant la fin du monde bancaire. Troisième mode d’argumentation du conservatisme, la mise en péril “consiste à affirmer que le changement en question, bien que souhaitable en principe, entraîne tel ou tel coût ou conséquences inacceptables”. Ce n’est plus la réforme en elle-même qu’il faut craindre mais bien ses suites. L’argument s’accompagne de l’idée que le “progrès” induit par la réforme considérée implique de renoncer à un autre progrès précédemment acquis. un peu comme si, explique Albert Hirschman, entrait en jeu une “espèce de “monnaie progrès” qui permet de poser la question en ces termes?: est-il bien raisonnable de sacrifier un progrès déjà acquis au nouveau??”. La transposition au discours de résistance des lobbies aux réformes bancaires et financières vient immédiatement. À les entendre, la stabilité financière a un prix qu’il faudrait payer en renonçant à des points de croissance. arriver à distiller dans l’opinion publique cette idée d’un arbitrage incontournable entre la stabilité financière et la croissance – quand la première progresse, la seconde recule?! – voilà une belle illustration de la “mise en péril” telle que la verbalisent les lobbies bancaires. Pour Robert W. Jenkins (professeur associé à la London School of Economics, ancien membre du comité de politique financière de la Banque d’Angleterre), cette idée selon laquelle il nous faudrait choisir entre la stabilité et la croissance n’est rien d’autre qu’un “mythe” auquel le lobby bancaire veut nous faire croire. Pour Albert Hirschman, la thèse de la mise en péril appelle un raisonnement plus complexe, une approche plus historique que les deux autres. Il explique qu’au XVIIIe et au XXe?siècle, les réactionnaires défendaient la thèse de la mise en péril de la liberté par la démocratie. Plus précisément, au XXe?siècle, vers la fin des années 1970, dans un contexte de “crise générale de gouvernabilité” des démocraties occidentales, vient la thèse de la mise en péril de la liberté et de la démocratie par l’état providence. Je crois pouvoir dire que l’on observe en ce XXIe?siècle une nouvelle déclinaison de la thèse de la mise en péril, celle de la croissance par la stabilité financière. Cela dans un contexte de crise de la croissance où l’on est en panne de modèle?: faut-il renouer avec l’ancien modèle de croissance tiré par la consommation (mais alors il faudrait stimuler la demande)?? en faut-il un nouveau qui favoriserait la transition écologique (mais alors il faut repenser l’offre)?? ou bien faut-il plus radicalement renoncer à la croissance, s’en aller vers la décroissance?? toutes ces interrogations offrent un terrain fertile à la thèse de la mise en péril de la croissance par la stabilité financière. Le raisonnement qui permet d’argumenter cet arbitrage, ce taux de change pour ainsi dire, entre croissance et stabilité financière n’est pas immédiat. Il repose sur la relation entre la finance (ou plus exactement le développement financier) et la croissance. Il fait l’hypothèse que la finance est un moteur inépuisable de la croissance. Ce qui revient à dire que plus il y a de finance (des services bancaires, des crédits, des dépôts, des échanges de titres, de devises, etc.) et plus il y a de croissance. C’est une question depuis longtemps débattue entre les économistes. Si Joseph Schumpeter (1883-1950) soutenait déjà l’importance de la finance pour l’innovation et la croissance, pour Joan Robinson (1903-1983), le développement financier ne faisait, au contraire, que suivre la croissance. C’est entre les murs de la Banque mondiale, dans les années 1990, que le point de vue de Schumpeter a gagné en force. Ross Levine, alors chef économiste de cette institution internationale, met en place une énorme base de données renseignant sur le niveau de développement financier de quasiment tous les pays du monde et se lance dans un vaste programme de recherches. Sans doute pas seulement pour la beauté de la science… Chacune de ses publications était animée par la volonté de montrer que le développement financier allait de pair avec la croissance. Que les différences de performances entre les pays s’expliquaient par des différences de développement financier. Qu’il fallait donc veiller à favoriser le développement des services financiers et le contexte juridique et institutionnel allant avec (en somme, celui des pays anglo-saxons). S’est ainsi forgée l’idée d’un lien très fort entre finance et croissance, et même d’une causalité faisant de la finance une condition sine qua non de la croissance. Jusqu’où?? Le moteur ne s’épuise-t-il pas au-delà d’un certain seuil?? Quand le secteur bancaire d’un pays pèse 4 ou 5 fois – parfois bien au-delà – son produit intérieur brut, qui mesure l’ensemble des revenus distribués en une année entière, est-il toujours un moteur pour l’investissement des entreprises?? Quand il s’échange chaque année sur le marché des changes 15 fois le PIB mondial ou 58 fois le montant du commerce mondial, le marché des changes ne devient-il pas une sphère qui tourne sur elle-même, déconnectée de l’économie réelle?? Peu de chercheurs se sont risqués à le penser, peut-être par peur de contredire Ross Levine, le pape du développement financier, ou de se heurter à un refus de publication dans les revues acquises à ses thèses. Alors, au tournant des années 1990-2000, le consensus qui prévalait dans la communauté académique était effectivement que plus de finance entraîne plus de croissance. Ce qui signifiait aussi bien sûr que, en freinant le développement de la finance, on réduirait la croissance. oui, mais cela c’était avant?!

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